A bas la conformité – L’évolution de la mode Gor-Jigeen Dakaroise selon Jeannot
«IL Y A VINGT ANS, quand j’étais encore jeune, car je ne le suis plus même si je me comporte toujours comme un gamin de 19 ans, j’avais une passion pour la mode. » Voici comment mon entretien a débuté avec Jeannot, un soir de mars dernier à Dakar. Nous étions dans sa chambre, à la recherche d’un coin calme, loin des conversations animées venant de son salon où plusieurs membres de la communauté gay s’étaient donnés rendez-vous, pour parler mode et robes de mariée. Ceci est un extrait des propos de Jeannot.
— J’ai 53 ans aujourd’hui, mais je me positionne toujours comme un gamin de 19 ans ; tu as vu ma coupe? Elle n’est pas jolie ? Voilà, j’ai voulu avoir quelque chose de jeune, un look très jeune. Je suis allé chez moi coiffeur et je lui ai demandé de me faire un design et il m’a dit, « pas de problème ». Il se trouve qu’il est mon fan numéro un parce qu’il trouve que des gens de mon âge ne se conduisent pas comme ça. Généralement ils ont des têtes coco-taillées, des trucs comme çà, mais jamais avec des designs comme les miens ; je les amène partout mes designs, ca veut dire que je n’ai pas de complexe. Demain je vais passer la journée avec ma maman, mes enfants ; ils verront ma tête comme ca. Jamais je ne mettrais de chapeau!
Si tu veux, je suis quelqu’un qui est très avant-gardiste au niveau de la mode, mais à la fois très retro parce que je trouve que ce que nos mamans portaient dans leur temps était incroyablement joli. Surtout ma maman qui était une grande couturière, toujours aux diapasons de la mode, et qui savait toujours quelles couleurs il fallait. Malheureusement, elle n’avait pas trop confiance en elle ; j’étais son conseiller. Il fallait que ce soit moi qui lui trouve les accessoires, les couleurs qui lui allaient; souvent je lui disais, « non, maman, tu ne vas pas mettre ce noir avec ce fuchsia, ça n’irait pas. Ce noir, je le verrais bien avec un gris métal », tu vois, c’était comme ça.
Maintenant au niveau du milieu gay, on a eu une évolution. Une évolution, ça veut dire que du temps de ceux que je peux appeler mes « mamans » dans le milieu gay même le boubou était coupé à la façon féminine pas avec un col comme le voulait la mode masculine. Ils portaient toujours leur boubou avec un châle. Il y avait une mode qui était très répandue, c’était d’avoir de la poudre au niveau du cou. Il y avait également la mode de la dépigmentation de la peau. Au Sénégal dans le temps, un homme qui se dépigmentait la peau était considéré comme gay.
Bien sûr, il y a eu plusieurs modes qui ont fait fureur dans le temps. Les gays sont assez avant-gardistes; nous ne créons pas seulement les tenues vestimentaires, nous créons également la façon de parler. Aujourd’hui, tout le monde parle de « taxacirip », je ne sais pas si tu as déjà entendu cette expression. Taxacirip a une histoire que les gens ne connaissent pas, ça veut « s’enduire de ça à façon ». C’est une expression que les gays ont inventé : quand un gay parlait de quelqu’un et qu’il disait à propos de cette personne « taxacirip », ça voulait dire que c’est quelqu’un avec qui il a des relations sexuelles ; quelqu’un qu’il aime au point de vouloir s’enduire la peau avec le sperme de cette personne. Mais voilà, aujourd’hui c’est un mot banal au Sénégal ; tout le monde l’utilise avec une connotation banale alors que le mot a été lancé par des gays. Une autre expression gay que tout le monde utilise aujourd’hui est « tabaax ba mu kawee» qui veut dire littéralement, on construit jusqu’à ce que ca aille en haut.
De nos jours, la mode des gays a évolué. Les jeunes d’aujourd’hui lancent des modes qui sont après copiées par les « straights » comme on dit. Ceci pose un amalgame, tout le monde porte les même vêtements et on ne sait plus qui est qui, hormis bien sure les gestes. La mode était plus osée dans le temps ; quand on voyait un homme dans un grand boubou avec un col coupé à la mode féminine, c’était osé. De nos jours, c’est plus complexe ; on peut trouver un jeune habillé dans de cette façon et c’est difficile de deviner son orientation sexuelle. Maintenant dans le milieu on se fie plus aux gestes pour deviner si un jeune est gay ou pas. Les gens de nos jours s’habillent comme des gays, avec des couleurs « flashy ». Ces personnes pourtant n’ont rien à voir avec le milieu gay. Par exemple, un jeune « straight » peu porter un habit extraordinaire parce qu’il y a vu son ami porté une tenue qu’il a trouvé joli ; souvent il ne sait même pas que son ami est “branché”. C’est vrai que les gays sont à l’avant garde de la mode, donc tout le monde vient copier chez nous.
Par contre la mode gay de nos jours est influencée par tout ce qui vient de l’extérieure. Aujourd’hui je n’aime pas la mode des jeunes, les caleçons qu’on laisse voir. Quand on a la culotte à la moitié des fesses, je n’aime pas. Ils sont tous dans cette dynamique de porter des pantalons à la taille basse; je n’aime pas. Bon, c’est peut-être leur temps ; peut-être que c’est moi qui doit doit m’adapter, n’empêche que je n’aime pas du tout !
“La mode était plus osée dans le temps ; quand on voyait un homme dans un grand boubou avec un col coupé à la mode féminine, c’était osé.”
Les jeunes d’aujourd’hui portent des choses qui choquent.
Quand on les regarde, on sait de suite qu’ils sont gays. Ils vont porter des couleurs qui sont traditionnellement réservées aux femmes comme le fuchsia, le vert, l’orange tapant, beaucoup de choses. Mais je crois que c’est parce qu’ils veulent s’affirmer qu’ils portent ça, mais d’un autre coté ça les dessert car ce n’est pas la société qui accepte ça. Ils se mettent en tenues extravagantes, même un peu de maquillage pour sortir.
Au Sénégal, nous avons des braves femmes qui sont des commerçantes aguerries, qui sont dans tous les avions, vont à Dubaï, à Paris et ramènent tout ce qui est « in », dernier cri comme on dit. Ceux sont ces femmes qui ramènent ce que les gays vont porter. Si elles ramènent des bodys et qu’il y a un qui est noir, ils n’iront pas vers le noir ; ils choisiront le rose, le violet. Parce que tout simplement ils ont vu à la télé, des stars de RnB, de tout ce qu’on veut, qui portent des couleurs comme ça, donc ils vont les imiter un peu. Maintenant, ils vont s’attirer les foudres du public parce qu’au Sénégal, les gens ne comprendront pas pourquoi un homme s’habille comme ça.
Par contre, les gens de mon âge sont tous au garage comme je dis, c’est à dire qu’on les verra en djellaba, des pantalons amples, bref des tenues passent partout ; ils sont devenus très conservateurs. C’est très rare de voir des hommes de mon âge avec une coiffure comme la mienne, qui s’habille de façon extravagante. C’est très rare. La société leur a tapé sur les doigts au point qu’ils sont maintenant rentrés dans les rangs et portent des vêtements passent partout.
Quand je m’habille, les jeunes s’exclament, « ah, la vieille s’est habillée encore !». Parce que tout simplement je porte des tenues qu’eux même ne peuvent pas. Un, parce que je n’ai plus rien à prouver et deux, parce que je me permettre, avec mon salaire, d’aller faire du shopping où je veux. Il m’est arrivé ici à la maison, de porter des choses que mon copain m’en a voulu après. Des sous-fesses, des décolletés qui arrivent jusqu’au nombril ; il n’a pas aimé du tout, bon voilà. Mais comme moi je m’assumais et que je me sentais bien dans ça, je portais ces tenues, c’est tout. Voilà ! —