Pour Sizakele
Conversation autour d’un livre et l’auteure, Yvonne Fly Onakeme Etaghene. Interview et traduction réalisés par Michael Kémiargola, photos de An Xiao et HiRes
Vivant aux Etats-Unis, la merveilleuse Yvonne Fly Onakeme Etaghene est une gouine ijaw et urhobo nigériane, une artiste et activiste performeuse trop multidisciplinaire pour qu’on mentionne tout son travail : poésie, danse, théâtre, vidéo… C’est un grand plaisir pour nous de l’accueillir ce numéro de Q-zine pour la sortie de son premier roman For Sizakele dont on vous conseille grandement la lecture. Le livre « aborde des questions comme l’identité transcontinentale, la violence conjugale, le genre queer et la façon dont nous aimons comme révélateur de ce que nous sommes ».
Cela t’a pris de nombreuses années pour écrire For Sizakele, dans quelle mesure l’œuvre finale ressemble-t-elle à la vision initiale?
Les personnages ont évolué et grandi à bien des égards au cours des années. L’essence des personnages est le même hier et aujourd’hui, mais la profondeur et la complexité entre eux, ainsi que l’histoire, se sont approfondies au cours des années, et c’est proportionnel à mon développement en tant que scénariste et ma compréhension des personnages. Pour moi, écrire For Sizakele c’était comme connaitre une personne ou un endroit – t’as une idée de qui ils sont ou ce qu’ils sont au début et au cours du temps, tu en apprends de plus en plus sur eux, plus que ce que tu aurais jamais pu imaginer connaître au cours de la première rencontre. Les détails et les nuances de l’histoire de chaque personnage se sont développés et révélés au fil des ans. C’est un véritable honneur que ces personnages m’aient choisie pour être la seule à raconter leurs histoires.
Est-ce que tu as eu à faire face à une sorte de deuil une fois que tu as eu terminé le roman?
Oui!! Je ne savais en quelque sorte pas quoi faire de moi-même. Je me sentais un peu triste d’avoir fini d’écrire. C’était surréaliste que ce livre que j’avais travaillé pendant plus de 14 ans de ma vie était maintenant disponible à la lecture dans le monde entier. Ces personnages, avec qui nous avions développé des relations intenses et de la compréhension, allaient maintenant faire partie de la vie de mes lecteurs. Je me sentais ainsi exposée – voici ce livre dans lequel j’ai mis tant d’amour, voici mon premier né que je partage avec le monde entier. J’adore vraiment l’idée que tant de gens ont et vont apprendre à connaître ces personnages et leurs histoires. Après la publication, je me suis plongée dans la tournée du livre ainsi que dans d’autres projets d’écriture et ça qui a contribué à me sortir de ma tristesse et ça m’a aussi rappelé l’importance de fêter la sortie de mon livre.
Comment toutes tes autres activités-, la poésie, la danse, le spectacle ont nourri l’écriture de ton roman? Et ce que ces autres activités t’ont parfois distraite de l’écriture du roman?
Rien n’a été une distraction. Tout ce que j’ai vécu, traversé, et tout l’art que j’ai fait cela faisait partie de l’écriture de mon livre – tout a informé et enrichi mon écriture. Je m’exprime par tant de formes d’art, chaque année je ne veux mettre l’accent que sur certains projets, donc je termine le travail su lequel je suis concentrée, plutôt que de se concentrer sur tout et obtenir un peu de tout faire.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur For Sizakele?
Fondamentalement Taylor, Lee et Sy essaient de comprendre comment être bon avec eux-mêmes et les unEs avec les autre. Et beaucoup de leurs enseignements viennent par amour – comme ils aiment, comment ils aiment être aiméEs et ce que l’amour signifie pour eux. For Sizakele traite également de l’identité à plusieurs niveaux (sexuelle, de genre et nationale) et de nombreuses façons différentes.
Peux-tu citer quelques artistes connus ou inconnus qui ont influencé ton écriture du roman?
Ma mère bien-aimée. Moi même. Ntozake Shange. Chrystos. Jewelle Gomez. Ola Osaze. Octavia Butler. Audre Lorde. Zanele Muholi. Chinua Achebe. Jamaica Kincaid.
Je suis vraiment touché par ton poème “Did you feel my shit?” parce qu’il aborde comment l’art pourrait et devrait avoir un impact, déplacer et changer les vies quand il est profondément reçu. Tu veux bien développer cette idée?
Je n’écris pas juste pour écrire. Ce n’est pas un exercice pour l’exercice. Mon art c’est l’expression de mon, c’est faire face à des questions qui comptent pour moi, c’est de rendre l’espace pour les histoires, les idées, les expériences de ceux qui – moi-même y compris- sont rarement, voire jamais au centre, à savoir les Queer Africains. L’impact que je vise n’est pas inclus dans des déclarations du genre “c’était un joli poème.” Ça ne me touche absolument pas. Je sais que c’est beau. Mais au-delà de ça – c’est quoi l’impact de mon travail en vous? Est-ce qu’il vous fait vous déplacer? A-t-il un impact sur votre âme? Votre vie? Qu’est-ce que l’art pour vous? Comment vos livres, vos albums, vos expositions d’art préférées ont changé votre vie? Si vous n’avez jamais connu une œuvre d’art qui ait transformé votre vie c’est vous ne cherchez pas assez fort. L’art est cet espace magique où nous pouvons montrer le monde tel qu’il est et réfléchir à la manière dont nous voulons qu’il soit. Je veux que mon art soit quelque chose que vous teniez contre vous, qui vous inspire à être le meilleur de vous-même, qui vous rappelle la magie de ce monde, je vous montre la douleur, et vous inspire à vivre une vie meilleure, plus extraordinaire. A quoi d’autre sert l’art si ce n’est pas à ça?
Que lis-tu ces jours-ci?
Je finis mon master à l’École Gallatin des études individualisées donc la plupart de ma lecture ces jours-ci sont liées au diplôme. L’intitulé c’est: cracher du feu: La performance poétique comme éducation et commentaire social. Actuellement, je lis beaucoup de choses, y compris Décoloniser l’esprit: la politique linguistique dans la littérature africaine par l’incroyable Ngugi wa Thiong’o. Je lis aussi Grace: Notes on Survival par Chiedza Pasipanodya.
Tu as commencé For Sizakele parce que tu voulais lire ce livre, que tu ne trouvais pas. As-tu depuis trouvé quelques livres qui fassent un peu écho à ce que tu as écrit dans For Sizakele?
Non. Je suis très enthousiaste au sujet de livres comme le Queer African Reader, édité par Sokari Ekine et Hakima Abbas, ainsi que Queer Africa: New and Collected Fiction, qui a été compilé et édité par Karen Martin et Makhosazana Xaba. Je suis impatiente de plonger dans Fairytales for lost children de Diriye Osman. Le livre de Chiedza (Grace: Notes sur la survie) est aussi une forte inspiration pour moi. Je n’ai pas trouvé un livre qui rassemble les intersections des questions comme le fait le mien. Et ça fait partie des raisons pour lesquelles For Sizakele est un livre d’une telle importance et d’une telle nécessité. Et c’est aussi pourquoi je me réjouis de l’écriture et de la publication de plus en plus (et plus!) de livres qui abordent les questions qui importent le plus pour moi. Le monde a besoin de livre complexes, inspirants, stimulants qui mettent l’accent sur la beauté, la douleur et la magie des vies Queer africaines, leur amour, leurs politiques, leurs expériences et leurs regards.
A propos du Livre, For Sizakele
Taylor, étudiante nigériane queer, entretient une relation passionnée avec Lee, noire américaine pianiste et joueuse de basket. Lorsque Taylor développe des sentiments romantiques pour Sy, une photographe camerounaise avec qui les points communs créent une familiarité immédiate, Taylor est confrontée à la jalousie de Lee. Alors que Taylor rencontre des défis concernant son identité femme et son identité africaine, elle trouve des pistes, grâce aux liens particuliers qui l’unissent à ses amies, pour se définir en ses propres termes.