Oze’N – Juste kiffer son moment

Une conversation entre l’auteure compositeure interprète, Oze’N et Cases Rebelles. Photo de GPhotography

Peux-tu te présenter et nous raconter comment tu es venue à la musique?

Je suis auteure compositeure interprète. Je suis assez introvertie et ça m’a permis de mettre sur papier ce que je ressens, ma vie, mes relations à tous les niveaux. C’est quelque chose d’inné je pense – je n’ai pas cherché non plus à faire de la musique. C’est des potes qui m’ont offert un petit carnet. Ça a commencé comme ça, j’ai commencé à écrire et puis au fur et à mesure ce carnet se remplit.  Et puis en 2012 je suis revenue en France j’ai rencontré des personnes qui m’ont donné l’opportunité de faire de la scène. Et depuis 2 ans j’en fais souvent puisque c’est un style qui n’aurait pas marché je pense en Martinique. Je fais ce qu’on appelle de la “Musique du monde” pour ne pas se catégoriser quand on ne veut pas rentrer dans un style. J’essaie de toucher un peu à tout, les influences dont je tire l’inspiration font que je ne peux pas me mettre dans une case. J’évolue plus sur la scène indépendante et j’ai envie d’y rester parce que je trouve qu’on est plus libres. Je préfère faire de la musique pour faire de la musique, pour l’expression et puis je trouve que ça a plus de valeur que les préfabriqués qui se vendent par millier.   

Quelles sont tes influences musicales et est-ce que la musique caribéenne en fait partie?

Ça dépend des morceaux. Tu parles d’influences caribéennes mais je ne me suis pas trop arrêtée à ça. J’estime qu’on n’a pas vraiment d’ancrage aux Antilles en tant que noirs parce qu’on n’est pas antillais. Les antillais c’est les Arawaks. Nous on a été importés d’Afrique. Certes, il y  a une identité culturelle antillaise qui s’est faite mais je pense que notre identité réelle c’est la culture afro en elle-même,  africaine qui a aussi créé une culture en Amérique par l’esclavage. J’ai plutôt été vers cette culture afro-américaine là qui pour moi était plus proche des racines il me semble. J’ai été plus vers cette culture en écoutant de la soul, blues, jazz. Moi je tire plus ma culture musicale de là. Et c’était dur d’imposer ça avec les autres jeunes qui étaient plus dans le dancehall. On m’a reproché, on m’a dit “ah mais t’es antillaise mais pourquoi tu fais pas du zouk”. Ben non ça coule pas de source. C’est pas parce que je suis antillaise que je vais faire du zouk ou de la dancehall c’est pas non plus parce que j’ai des dreads que je vais faire que du reggae. J’ai essayé de me sortir des préjugés et puis je fais en sorte de ne pas écouter ce qu’on me donne comme directions. Je cultive mes influences comme ça. Donc j’écoutais Tracy Chapman; Annie Di Franco c’est une artiste qui m’a beaucoup, beaucoup touché – j’écoute toujours ses sons et sa façon de composer est magnifique. Je ne sais même pas comment exprimer ça! Si je la rencontrais un jour pour moi ca serait le must dans ma vie je crois. Y’a aussi Salif Keita, Bobby Womack. J’écoute aussi des artistes récents comme Irma, Asha. Après au niveau des styles musicaux je reste pas cloitrée ; j’écoute aussi étonnamment du Dub comme Skrillex c’est un peu de la folie dans le son et j’aime beaucoup mettre un peu de folie dans mes sons – des fois il y a du funk, du ragga, du reggae dedans. Ça fait une belle cohésion. J’écoute aussi des sons caribéens mais plus old school pas des trucs récents. Dans ma famille on écoutait quand j’étais petite des trucs comme Teri Moise, Tracy Chapman, Francis Cabrel, de la musique classique aussi.

Tu parlais d’Ani Di Franco qui a pu faire parfois des morceaux plus poésie, plus spoken word, est-ce quelque chose qui te parle?

Le slam oui c’est quelque chose qui m’intéresse. J’en ai fait un petit peu et j’avais déjà écrit quelques textes. J’ai participé à un atelier slam pendant une petite période de façon assez régulière et c’est vrai que quand j’écris j’ai tendance à faire très attention aux rimes. Même en anglais j’essaie de faire des rimes, de faire des choses qui sont assez imagées. Je trouve que la compréhension par l’image c’est plus beau déjà que dire les choses juste telles qu’elles sont. Passer par l’image ca permet de prendre la mesure de ce qui est dit.

Mais quand j’écris j’arrive pas à me dire “bon ben viens j’écris une chanson”. Soit ça vient naturellement, soit ça vient pas. J’aime pas forcer. Pour moi faut que ce soit naturel.  J’aime bien les choses simples “ça devait se passer comme ça donc ça se passe comme ça” point barre et pas rentrer dans des calculs sinon c’est plus un plaisir, ni une nécessité.

Tu chantes en anglais et en français, dans quelle langue te sens-tu le plus à l’aise?

En anglais parce que j’écoute plus de chansons anglophones et puis je trouve qu’il y a une certaine musicalité dans cette langue. Et puis c’est une sorte de protection de chanter dans une autre langue que la sienne parce que du coup on se dit “ les gens vont moins comprendre ce que je raconte”. Parce que c’est un petit peu un livre ouvert, en chantant en français parfois on a l’impression de se dévoiler un peu trop, un peu trop vite. Chanter en anglais ça permet de me cacher encore un petit peu : c’est ma dernière petite barrière. C’est un truc qu’on me reproche parfois vu que je chante plus sur les scènes en France. Les gens me disent “Ouais mais on comprend pas trop souvent ce que tu dis”. Donc ce serait peut-être mieux d’écrire en français mais pour moi c’est pas naturel. Je suis francophone mais je préfère chanter an anglais.

On t’a découverte sur scène hier. Tu passais en premier, t’étais seule et le public était en retrait et très vite on a l’impression que tu as rompu la distance. Tu  avais l’air très à l’aise malgré ton caractère introverti.

J’ai peut-être l’air à l’aise sur scène mais en même temps je me sens assez mal à l’aise. Je ne sais pas trop comment les gens perçoivent ce que je chante ou ce que j’essaie d’exprimer. Et puis quand j’ai fini ma chanson y’a toujours un petit silence j’ai l’impression, “c’est fini les gars j’ai fini là” (Rires). Alors je sais pas trop comment le prendre positivement ou négativement je sais pas trop.

Ce moment où il y a un silence je me dis peut-être qu’ils sont dans le même silence où moi j’étais quand j’écrivais la chanson et en même temps des fois je me dis : “Ils ont peut-être rien compris” (Rires).

Alors je fais quoi? J’explique? C’est toujours un problème pour moi d’essayer d’expliquer. J’ai un problème avec les mots sauf dans les chansons où j’arrive à trouver les bons. Mais exprimer ce que je voulais dire dans cette chanson parfois c’est compliqué.

Et hier y’a un mec qui est venu me voir après que j’aie chanté. Il me disait qu’il s’est senti transporté comme tu le disais et c’est là qu’est la thérapie : pouvoir comprendre qu’il y a des gens qui arrivent à partir avec moi sur une chanson. C’est ca qui est bien : ne pas se sentir  seule dans son délire des fois. C’est ca qui est intéressant et qui est beau.

Je trouve qu’écouter de la musique pour juste écouter la musique et juste kiffer son moment et se sentir transporter c’est la base, c’est de la transmission, de l’émotion, de l’histoire, des vérités, des engagements pour moi c’est ça.

 

Le futur c’est quoi?

Le futur pour moi c’est de jouer un max, de pouvoir enregistrer un petit EP, que des choses soient posées. C’est sympa de poser des choses en studio ça permet de se libérer l’esprit.

Ça fait deux ans que je fais un peu de scène donc là je vais faire en sorte de jouer plus pour pouvoir rencontrer des gens. Donc là j’ai déjà un bassiste. C’est la complexité de trouver des musiciens avec qui on s’entend tout de suite ou qui sont dans la même philosophie, qui rentrent dans l’esprit des sons. Et puis qui sont aussi ouverts sur le sujet de la sexualité. Parce que y’en a qui font semblant de pas trop comprendre que t’es homo. Une fois qu’il ont compris oulala ils te le disent pas tout de suite mais ils te mettent des bâtons dans les roues pour dire “non j’suis pas disponible pour répéter”, “ ah ben non on va faire comme ça” et puis bon a la fin “tu me payes parce que tu te rends compte j’savais pas que t’étais homo” genre “tu m’as choquée”. Des fois tu tombes sur des gens qui sont ok mais derrière y’a pas les compétences ou l’inspiration.

J’suis pas non plus dans un éternel combat de faire “accepter, tolérer, respecter”. Je suis juste telle que je suis tout comme d’autres personnes hétéros ou d’autres orientations sexuelles mais je fais de la musique. Et le fait que je sois homosexuelle, pourquoi c’est gros? Parce qu’on est dans une société où quand t’as cette différence- là forcément c’est ultra marqué alors que c’est rien du tout. En tant qu’artiste il faut savoir se placer quelque part pour être regardée juste en tant qu’artiste et pas en tant qu’artiste homosexuelle.