Un serpent albinos
Par Jacob Nthoiwa
Je suis resté là, allongé pendant un certain temps après avoir repris conscience. Directement au dessus de moi, au plafond, se trouvait la tache d’où le toit fuyait. Elle ressemblait à une grande cartographie l’Afrique du Sud, et cette tache sombre, à l’endroit de la fuite d’eau lors des pluies, est exactement où était située Jozi.
Ou, mieux encore, peut-être c’était exactement là où moi, Sabelo … (enfin, vous n’avez pas besoin de connaitre mon nom de famille), anciennement de … eh bien, loin de ce parterre gris sale, se trouvait présentement.
J’ai pensé à ma vie comme cette fuite d’eau lente, qui coulait goutte à goutte du toit, et mon corps, comme la flaque d’eau qu’elle faisait au sol.
Mon esprit vagabondait. J’avais l’impression d’avoir perdu connaissance pendant des heures, mais je pouvais voir qu’il faisait encore jour dehors. Et en tournant légèrement la tête pour vérifier l’horloge à deux sous au-dessus du comptoir, je réalisai que je ne pouvais avoir été inconscient que pendant quelques minutes.
J’ai essayé de lever la tête, mais elle était aussi lourde qu’un plomb. Une douleur aiguë traversa le dos de mon cou. Je renonça à cette idée et décida plutôt d’étudier la petite boutique avec ma tête toujours au sol. Pas facile. Un de mes yeux semblait être fermé. La vision de l’autre se brouillait facilement, comme un mauvais DVD piraté.
J’ai commencé avec l’étagère directement en face de moi. Tout semblait être en place. Le rang de Erex toujours net (“Pour des érections plus fortes et des performances extra!”) et des Roughriders, machin gluant (“Renforcer le plaisir du contact humain!”). Les promotions de la semaine, dont je m’étais occupé de la présentation ce matin même, tandis que le patron faisait les comptes.
Avec précaution toujours, je tournai la tête afin de faire l’inventeur du reste de la pièce. Pas de douleur cette fois, bien que mon cou était aussi raide et enflammé, comme une Erex-tion. Les rangées de DVD toujours en ordre à l’arrière de la boutique. Ecolières. Bondage. Partouze. Orgie. Homme à homme…. Dieu merci, tout était encore là, je me suis dit.
“Chaque fois qu’un client met quelque chose dans SA poche, ca sort de TA poche, bra!” C’était la clause service clientèle de mon contrat. Ainsi, vous pouvez imaginer à quel point j’étais anxieux de scanner les étagères, et mon grand soulagement de voir que rien ne semblait avoir été dérangé. Quelque soit ce que ces gars cherchaient, ce qui est certain, ce n’était pas une année de réserves de vidéos porno et d’accessoires sexuels.
Il restait donc la caisse enregistreuse. De là où j’étais, je ne pouvais que voir l’avant de cette antiquité (“Eh, c’est ce qu’il y a DANS la chose “focken” qui compte, pas son extérieur en paillettes, bra!”). Il n’a pas l’air d’avoir été arraché ou quelque chose du genre, mais je ne pouvais pas voir son tiroir d’ici où je me trouvais. Je l’imagina grande ouverte, les recettes de l’après-midi envolées (pas beaucoup, mais quand même un gros morceau de mes cacahuètes mensuels – “Estimes-toi chanceux, de pas être dans la rue à vendre ton cul noir, bra”)
Je rassemblai toute la force qui me restai, jeta un dernier regard à la carte bien bombée au plafond et leva la tête. J’attrapa le pilier gras à mes côtés et me hissa, en essayant d’ignorer la douleur foudroyante qui traversa mes épaules, le long de mon dos, puis saisit mes hanches, s’enfonçant dans mon aine, avant d’éclater à travers les jambes comme un choc électrique. J’avais l’impression que mes pieds étaient soudés au sol avec des aiguilles chaudes. Mes vêtements étaient trempés, et il y avait un liquide chaud qui coulait de l’enflure de mon œil. En baissant les yeux, j’ai vu le sol couvert de sang. Une chèvre aurait pu y être abattue.
Je me suis traîné vers le comptoir. “Dieu merci”, murmurai-je. Ils n’avaient pas touché la caisse. Mais en tirant la porte, je trouvai qu’elle était verrouillée. Les salauds! J’ai essayé de crier à l’aide, mais ma gorge me semblait comme une toilette bougée. Puis je me suis souvenu qu’un des gars m’avait immobilisé par le cou, poussant son pouce au fond de la gorge, juste avant je ne m’évanouisse.
La canette de Fanta que je buvais était toujours là où je l’avais laissée, entre la caisse et une tarte à moitié mangée. Le Fanta était encore frais et la tarte toujours tiède mais l’envie m’était passée ; en la dépassant, je sentis son odeur qui me fut roté. Mes jambes se dérobaient, et je me retrouvai à genoux, essayant d’agripper le compteur afin d’éviter une chute. La salle commença à tourner autour de moi. Allais-je encore m’évanouir?
Je tentais de fixer le comptoir dans l’espoir de redresser ma vision. A côté de la tarte se trouvait le livret que m’avait passé le garçon du coin de la rue qui prêche “la parole de Dieu”.
Je ri et étouffa en même temps. La couverture du dépliant montrait un jeune homme agenouillé en prière, et me voici, à genoux, prêt du dépliant.. C’était drôle, car j’ai renoncé à Dieu il y a bien longtemps. Je ne l’ai pris que pour ne pas blesser le garçon.
Celui-ci marmotte toujours quelque chose du genre “pouvez-vous partager une minute avec Dieu pour écouter sa sagesse ?”, “Le bonheur est ce que vous cherchez. Voulez-vous savoir comment l’obtenir?”
D’habitude, je me contente de sourire et grouiller pour le passer. Aujourd’hui, je ne sais pas ce qui m’a pris. Peut-être que c’était un présage. Au lieu de mon sourire habituel, je lui ai dit: “Désolé, je suis pressé.”
” Je vous promets, monsieur, je ne prendrai qu’une minute de votre temps.” Son visage s’illumina, comme celui d’une personne à qui personne n’avait jamais fait attention.
“Désolé mec, je suis en retard pour le boulot.” Je m’étais assuré qu’il y avait une distance raisonnable entre nous, mais, avec la foule qui se précipitait de partout, je me suis retrouvé pratiquement nez à nez avec le garçon. Il me fixa droit dans les yeux, rayonnant de charité envers moi.
“Si tel est le cas, monsieur, ” dit-il d’une formalité étrange, “je vous prie de consulter cette brochure, elle changera votre vie.” Toujours en me fixant droit dans les yeux, il poussa le livret sous mon bras, et tapota mon coude avec l’autre main. Geste qui aura pu venir d’un vieil homme, mais ce gamin avait au moins quelques années de moins que moi.
“C’est ça!” dis-je sous mon souffle, en m’enfuyant avec une envie forte de me retourner pour voir s’il me regardait toujours, tout rayonnant.
En arrivant à la boutique, j’osai me retourner, mais il était présentement occupé avec une autre victime. Une vieille dame tellement petite et courbée qu’elle ne le lui arrivait qu’au niveau de la poitrine. Elle avait le cou bien étiré vers le garçon, dans une conversation aminée, comme entre de vieux amis. Puis, soudain, il se tourna à moitié et me regarda fixement. Le grand sourire flashé à nouveau, et en me fut un signe avec son bras chargé de brochures. Je me précipitai dans la boutique.
J’imagine qu’il devait se dire qu’un gars qui travaille dans un sexe shop avait vraiment besoin d’être sauvé, rires. Certainement il pense marquer beaucoup de points en me convertissant. Hélas, les apparences sont trompeuses. Je suis sans doute moins intéressé au sexe que lui!
C’est l’effet de travailler dans un endroit comme celui-ci. Sure, c’est pas comme si j’étais ici de cœur joie. Le patron est réglo, mais je ne suis ici que parce qu’aucune autre putaine de chose ne m’attend ailleurs, si ce n’est de vendre mon corps ou agresser des vieilles femmes pour leurs portables et monnaies.
Je suis vraiment une bonne personne, ce qui fait que j’ai appris à mentir énormément depuis que j’ai commencé à travailler à la boutique. Les gens me demandent où je travaille, et quand je réponds dans une boutique, la suite est toujours “Alors, qu’est-ce que vous vendez?” Tout le monde. Mes frères, ma mère, mes cousins et cousines, mes voisins, mais voilà, ils n’ont jamais eu de réponse.
J’ouvre la brochure à la page centrale. Une photo en couleur montre une scène en plein air. Le vert des plantes a l’air si paisible. Elle représente un groupe de personnes, de différents âges et de toutes les couleurs, tous rayonnant comme le garçon du coin de la rue, leurs yeux rivés sur moi, surement une manipulation de l’illustrateur. Je tourne la page, mais leurs yeux me suivirent.
Ils jouent avec des animaux. Une jeune fille blanche avec de longues boucles blondes s’amuse avec un agneau, et à côté d’eux, un petit garçon noir brosse un lion. Plus loin dans l’image, un couple lève les yeux vers le ciel, souriant aux oiseaux volant. Le ciel est d’un bleu intense et infini qu’il pourrait m’avaler…
Quelqu’un frappe à la porte, dur. Et en criant.
Je me tourne, en m’attendant à revoir les voyous qui devaient revenir sur leur lieu de crime. Ils doivent bien se moquer. Ils m’ont enfermé afin de s’assurer que personne ne pouvait m’aider, pendant qu’ils allaient à la recherche d’un véhicule ou qui sait quoi. La clé tourne dans la serrure. Peut-être sont-ils revenus pour me finir.
La porte s’ouvre et les cris s’arrêteraient brusquement. Silence.
“Sabelo!” la voix du patron. “Qu’est ce que le “fock” fais-tu?” Il me regardait avec des yeux exorbités. J’étais à genoux sur le plancher de sa boutique, en face d’un magazine des témoins de Jéhovah. Il laissa échapper un son entre un grognement et un éclat de rire. “Tu t’es mis à la prière maintenant, bra? Par tous les …. ”
Là, il se fige, car il vient de voir du sang par terre, et sur moi. Les DVD et jouets sexuels couvert de sang.
“Putain?”
Mais il ne se précipita pas pour me venir en aide, pensez-vous. Il reste immobile. Il dévisage. D’abord moi, puis la caisse.
“Avons-nous été “focken” cambriolé?” Je déteste quand il dit “nous”. J’eu une envie forte de lui crier, “Ce n’est pas ma “focken” boutique!”
Et puis, tout à coup, tout me revient. “J’ai été violé.” Et je sors ca d’un ton neutre. J’entends le ton plat de ma voix, comme s’il venait d’une autre personne. “Dans un sexe-shop,” ajoutai-je, et puis éclata de rire.
Je n’avais jamais été dans une ambulance. J’ai toujours associé les ambulances aux gens qui mouraient d’accidents ou de fusillades. Jamais les victimes de viols. A y réfléchir, je n’ai jamais pensé aux viols. C’est un crime lointain qui n’arrive qu’aux personnes vulnérables. Pas à des jeunes hommes virils comme moi.
“Calmez-vous”, dit l’une des dames.
Elle se tourne vers son collègue, “Donnez-lui quelque chose pour le calmer.”
Je sens une piqûre sur mon bras. Je riais toujours.
“Mtwana wami!”
“Sabelo!”
La voix de ma mère. Mon corps est alourdi par les médicaments. Elle essaie en vain d’être forte, de ne pas pleurer. Quand je la regarde sans un mot, dans un premier temps elle essaie de sourire, mais avec ce regard de “qui je trompe”, le sourire se transforma en un long et profond sanglot. Je fais un effort surhumain pour ne pas me joindre à elle. Jozi m’a endurci, mais peut-être pas autant que ça.
Je me détourne pour faire face à l’horloge au mur, faisant semblant de dormir. Mon attention se fixe tour à tour sur un visage blanc pâle, les numéros rouges et le rythme lent de la seconde aiguille de l’horloge, jusqu’à ce que le mouvement m’hypnotise. Avec une fascination étrange, je suivis le rythme de l’aiguille. Chaque minute maintenant associée à la honte.
Les infirmières sont de retour. Une attrape mon poignet pour vérifier mon pouls, l’autre m’enfonce un thermomètre dans ma bouche. Sans un mot. Juste un autre morceau de viande pour elles. Ma mère a due cesser de sangloter il y a longtemps. Maintenant, elle est assise avec sa chaise penchée, mais les yeux rivés sur moi. Je repense à la vieille femme qui parlait avec tant d’animation avec notre jeune prédicateur.
“Comment te sens-tu, mon fils?” Elle demanda enfin. Sa voix toujours rauque par les pleurs.
J’essaie de répondre, mais ma gorge toujours rouillée.
“Chut, chut! Tout va bien” elle m’assure. “Reposes-toi”
“Tu es en sécurité maintenant. Reposes-toi”
L’une des infirmières est de retour, chuchotant quelque chose à l’oreille de ma mère. Elle l’aide à se remettre sur pieds, et elles s’efforcent d’aller aussi loin de mon lit que la pièce leur permette. L’infirmière doit être entrain de mettre ma mère au parfum, que je n’étais pas juste une autre victime d’agression à Jozi, car j’entends ma mère qui essaie de lui couper la parole. Celle-ci fut chut, l’amena dans le couloir, d’où je pouvais toujours les entendre murmurer. La honte semble transformer leurs voix basse. Cette honte se joignant à celle venant de l’horloge, et à la honte que je pouvais voir sur le long visage de l’autre infirmière, celle qui était restée auprès de mon lit, feignant de lire mon dossier, mais qui en fait me dévisageait à travers ses lunettes épaisses.
Silencieusement je priais que son collègue n’était pas entrain de divulguer mon lieu de travail. Qu’est-ce que sexe shop pourrait bien signifier pour ma mère? Pourrait-elle même imaginer “boutique” et “sexe” dans la même phrase?
Elle doit cas même être au courant de la pornographie…que des hommes et femmes, les hommes et les hommes, les femmes et les femmes (et même des femmes et des chiens – Pouvait-elle imaginer ça? – puissent payer pour baiser devant une caméra, et que d’autres puissent payer pour voir le spectacle. Mais, je pouvais jurer sur ma vie qu’elle n’avait jamais vu un film porno, et qu’elle ne pouvait pas non plus en imaginer un, et ne le voudrait pas en premier lieu.
Et maintenant, l’infirmière devait lui expliquer que non seulement il y avait des boutiques qui vendaient ces choses, mais son fils travaillait dans l’une d’elles, vendant ces machins à d’autres hommes, et probablement, elle devait assumer, que je me vendais avec les DVD, lubrifiants, les bouchons de cul, et les bagues de pénis ….
Et voilà que dans le couloir ma mère se mettait à sangloter de plus belle.
Je travaille à Strydom Parc, dans une petite boutique appelée “Slick”. Ce n’est pas l’une de ces grandes chaînes, juste une opération de deux hommes, le patron et moi. Bien sûr que je connais son nom, mais toujours est-il que je préfère l’appeler “patron”, tout comme il préfère m’appeler “bra.” Je pourrais probablement compter les doigts d’une main le nombre de fois qu’il m’a appelé Sabelo. L’autre jour Il a due avoir la trouille de sa vie pour m’appeler comme ça. Eh bien, qui ne serait pas choqué de trouver son assistant de sexe shop sur ses genoux devant une page de la bible en plein milieu de l’après-midi? Sans parler du fait qu’il était trempé dans son propre sang et aveugle d’un œil.
Nous nous spécialisons dans ce que le patron aime à appeler “activateurs romantiques”- jouets, des pilules, lubrifiants, des vidéos et magazines pour tous les goûts possible. Une petite opération, mais, hé, le sexe rapporte, et il semble que bon nombres de gens ont besoin d’amélioration. La boutique marche assez pour garder le patron dans une villa de quatre chambres, style toscane quelque part à Randburg. J’ai eu droit aux photos. Deux enfants à l’air méchant, et une grosse femme avec trop de maquillage.
Et assez pour me garder, eh bien—j’ai un petit coin à Diepkloof. Une chambre à coucher, combinée avec cuisine, salon, salle à manger, bureau et balcon. Tout-en-un. Facile à maintenir. Et ceci m’évite de vivre au crochet de ma mère, car la pauvre n’a que sa pension de retraite.
J’ai été une surprise. Tous mes frères et sœurs ont au moins vingt ans de plus et ont une vie qui n’a aucun rapport avec moi. Le vieux a disparu peu après ma naissance, sans doute le choc d’être de nouveau père à plus de cinquante balais, j’aime à penser. Mais personne ne sait vraiment ce qui lui est arrivé. Un jour il est allé en ville à la cherche d’un boulot et n’est jamais revenu.
Ce travail a été mon grand secret pendant près de six mois. J’ai honte de mon travail, mais détrompez vous, je ne suis pas prude. Le sexe reste le sexe, et les gens peuvent faire ce qu’ils veulent. Faire parti de cette industrie, c’est ce qui me fait rougir. Combien de fois avez-vous entendu une personne vous dire, “je travaille dans une boutique pour adultes?” Si ce n’est dans l’un de ces magazines kitsch pour nos jeunes “libéraux”?
Et je n’aurais jamais imaginé qu’une chose pareille pouvait se produire. Ma grand-mère disait souvent que les choses que vous ne pouvez imaginer se produire c’est comme de rencontrer un serpent albinos. Il est rare d’en voir, mais pourtant il existe..
Les clients de “Slick” sont pour la plupart, soit des vieillards tristes qui préfèrent se branler qu’avoir à faire à un être humain, soit ce sont des lycéens en manque. Je les dis où trouver ce qu’ils cherchent, prend leur argent et les ignore. En général, ils me rendent bien la monnaie. Bien sûr, il arrive que certains me draguent, mais un coup d’œil a toujours été suffisant pour faire passer le message. Je suis pas du tout mal, comme guy – je plais plutôt aux hommes blancs – mais c’est pas vraiment mon truc.
Comme je disais, en ce moment rien n’est vraiment mon truc. Pour certains, travailler dans un sexe shop peut être une aubaine, prenez le patron par exemple, il lui arrive de disparaître toute la journée à l’arrière de la boutique avec un nouveau DVD. Tout ceci me laisse plutôt indiffèrent.
C’était une matinée bien lente. Je prenais mon déjeuner lorsqu’on sonna pour la première fois. J’ai ouvert la porte pour trouver trois hommes qui à première vue, ne pouvaient du mal à une fourmi. Genre la quarantaine. Types fonctionnaires, ou peut-être commerciaux, vous voyez le type. Uniforme kaki et chemises de golf. Messieurs tout le monde quoi.
En tête du groupe était un homme imposant. Blanc et trapu. Un peu balourd à le regarder de plus prêt. C’est facile à deviner qu’il a été membre d’un gym autrefois. Il me regarda et hocha la tête, puis détourna les yeux, pour scanner les racks de DVD. Pas le client typique d’un sexe shop.
Il était accompagné de sa version plus courte. Celui-ci portait le même uniforme, sauf que son kaki était de couleur verte, et sa chemise avait des rayures horizontales qui le raccourcissait encore plus.
Le troisième homme était métissé. Je suis facilement intimidé par les hommes métisses, ne me demandez pas pourquoi. Il avait l’air presque blanc, mais ses cheveux le trahissaient. Il portait un pantalon cargo kaki et un t-shirt serré qui laissait deviner une musculature dont il était visiblement fier. Celui-ci utilisait toujours sa carte de gym.
Ils étaient entrés dans la boutique en file indienne; c’est pas comme s’ils avaient le choix, vue la façon dont l’entrée a été construite. Mais étrangement, même après avoir passer l’entrée, ils avaient gardé la même file. Probablement qu’ils cherchaient à passer le temps de leur pause déjeuner, pensais-je, et par la même occasion réveiller leur libido pour une éventuelle soirée avec leurs épouses ou petites amies.
Ils se séparèrent enfin, chacun prenant une allée pour consulter les piles de DVD, ne s’arrêtant jamais longtemps au même endroit. Un peu comme ces ados qui savent bien qu’ils ne doivent pas être là. Voyez-vous, j’ai l’habitude de ce genre de clients, donc je les ignorai pour mieux me concentrer sur ma tarte. J’étais à peu près sûr qu’ils n’étaient pas des voleurs à l’étalage. Depuis que je travaille ici, j’ai développé une sorte de sixième sens pour ça. Quoi qu’il en soit, c’était la fin du mois… Ce gâteau était probablement tout ce que j’allais manger de la journée.
“Excusez-moi?”
J’avala ma bouchée de tarte avant de lever les yeux. C’était le petit homme blanc, debout près de la collection “petits écoliers. ”
“Ouais?” répondais-je sans enthousiasme. Je savais bien que ces gars n’allaient jamais acheter quelque chose. A travers un demi-sourire maladroit, et l’air de “Je ne veux pas crier dans un endroit comme celui-ci”, il resta là à me fixer, alors j’ai mis la tarte à côté de la caisse, et me décolla de ma chaise. Comme par hasard, et au même moment, ses potes se dirigèrent vers lui. Comme dans une pièce de théâtre, on se retrouva tous au même temps. J’ai pensé: “Hé, peut être que ces gars sont des flics ?” Si c’est le cas, ils étaient hors de leur territoire. Le trio qui nous taxe à chaque fin de mois sera furieux.
S’ils étaient intéressés aux “petits écoliers”, eh bien, ils seront bien déçus car les apparences sont trompeuses. Ces “petits” qui ont l’air d’avoir 13 ans, en faisait facilement 18+, garanti par l’état de la Californie. Nous pouvons le prouver. Bien sûr.
“Comment puis-je vous aider?” En le regardant bien dans les yeux. Amical mais ferme.
“Avez-vous, euh, des trucs de bondage?” il demanda avec le même sourire hésitant.
“Certainement,” dis-je avec désinvolture. Ces gars-là ne sont pas des flics, juste des débutants.
Je les ai conduit à notre petite section BDSM à l’arrière de la boutique. Ils m’ont suivi en file indienne. “Les costumes et, euh, attirails sont de l’autre côté du comptoir, ” ajoutai-je, en roulant bien le mot. C’était un de mes trucs préférés. Il me faisait me sentir presque comme un professeur, un spécialiste en coutumes exotiques et tribales.
Mais en me retournant pou regagner ma chaise, ils me fuirent barrage avec leurs épaules.
Je me retourna encore, cette fois-ci pour me diriger dans le sens opposé, mais le plus grand posa sa main sur mon épaule. Celle-ci était couverte de poils jusqu’aux doigts. “Hey!” Dis-je. J’ai été plus choqué qu’effrayé. On ne se touche simplement pas dans un sexe shop.
“Que diras-tu t’en prendre un?” a t-il déclaré dans une voix rauque étrange, comme s’il se prenait comme un loubard dans un film d’action. Son visage était aussi rose que la doublure d’un de nos jouets, Fleshlite.
“Quoi?”
“Recevoir quoi?”
Je regardais toujours le visage rose du grand, lorsque l’autre bougre métissé, dans un mouvement digne d’un rugbyman, passa derrière moi, me tira les mains en arrière et de façon experte les attacha avec quelque chose qui a cliqué. Merde, des menottes! Le petit court se précipita pour verrouiller la porte.
“Tu vas être notre petite pute aujourd’hui”, lança le grand dans sa voix d’acteur.
“Nous allons te montrer comment on le fait, putain de Moffie,” ajouta le métisse dans un gémissement aigu.
Puis, ils ne disent plus rien. D’une certaine manière, c’était presque la partie la plus effrayante et la plus humiliante. Pas un mot, pas même un son, à l’exception de leur respiration.
Après avoir verrouiller la porte, le court est revenu, et sans un mot comme les autres, a commencé à déboucler ma ceinture. Dans un film, je l’aurais donné un coup de pied dans les couilles, il y aurait eu un grand bruit, et il se serait affalé comme un sac vide.
Mais dès que j’ai tenté de bouger, le grand m’a donné un coup sec dans l’œil, comme s’il s’était entrainé, et au nain d’arraché mon pantalon et immobiliser mes pieds avec. Ce qui me fit tomber à genoux, la douleur qui perce ma tête, et leurs mains que je sentais sur moi ….
Le reste, je me rappelle dans le moindre détail, mais je n’en dirais pas plus.
Peut-être que si j’étais une fille, il aura été plus facile d’en parler à ma mère, pour qu’elle puisse me consoler. Mais voilà, comment pouvait-elle comprendre qu’un homme pouvait en violé un autre? Cette femme traditionnelle et bonne chrétienne de surcroit?
Je me demande si elle pense que je suis un homosexuel à cause de ça. Je me suis demandé si elle pensait que c’était ça le sexe pour moi. Le viol a été réemballé tellement de fois de nos jours, qu’il est devenu difficile pour nos parents à comprendre.
Je me demande si elle va en discuter avec ses amies, les membres de son église, ou juste le garder parmi ceux qui sont au courant. Après sa conversation du couloir, elle est rentrée en regardant fixement l’air comme si j’étais un cadavre exposé à la morgue.
Elle s’était assise à mes chevets, sans un mot, pendant que je faisant semblant de dormir.
“Pouvez-vous, s’il vous plaît nous excuser, mma? J’ai besoin de parler à Sabelo en privée.” C’était le patron. Silencieusement, elle s’expulsa.
Il s’assoit et me donne de la nourriture dans un sac en plastique, avec un regard bizarre. Je suppose qu’il va me virer.
“Merci pour la nourriture”, dis-je. C’est sorti comme une toux.
Il regarda autour de lui nerveusement, puis, sans me regarder, “La caméra de vidéosurveillance était en marche tout le temps.” Il se pencha ensuite sur moi en souriant, toujours aussi nerveux.
Je ne suis pas où il veut en venir. Je reconnais le sourire, et je ne l’aime pas.
“Quoi?”
“Le tout a été enregistré. Tout est sur la bande, ” dit-il avec un sourire navrant. Je n’aime pas ca du tout.
“Quelles bonnes nouvelles”, j’ai finalement murmuré. “Nous allons attrapé ces salauds.”
“On ne voit pas leurs visages.”
“Elle est où cette cassette?”, mais il ne m’écoutait pas.
“J’ai tout regardé.”
Je le dévisage.
” Et … “, en baissant la tête, “c’est génial.”
“Quoi?”
“C’est la vraie chose”. “Pas de lumière, pas de maquillage, pas d’action bidon, que du réel.”
Je le dévisage en milieu.
“Ecoutes, mon bra, ca fait plus de depuis vingt ans que je suis dans ce business. J’ai tout vu. Et qu’est ce que j’ai appris?
Qu’il n’y avait rien de plus rare que la réalité. Les gens viennent à la recherche de fantasmes parce qu’ils ont peur de la réalité. Mais la réalité est ce qu’ils veulent, ils ne savent juste pas comment y faire face. ”
Ma bouche est ouverte. Je pense que je vais vomir.
” Ne réalises-tu pas, bra? La bande, TA bande, est parfaite. C’est la vraie chose, mais on ne peut le regarder sans être impliqué, tout comme un fantasme, mais sauf que c’est la réalité. C’est si rare, c’est inestimable. C’est comme dirait ma vieille nourrice, comme un serpent albinos! “