Nous devons être vuEs ET entenduEs
Un entretien avec Claire Obscure par Michael Kémiargola. Photos de Claire Obscure
Résidant en France, Claire Obscure est une activiste afroféministe et une artiste aux talents multiples : musique, peinture, photographie… C’est cette dernière part de son travail qu’elle partage généreusement avec nous tout en nous expliquant son cheminement. Elle nous dit son goût de l’image et l’importance des enjeux de représentations décoloniales et minoritaires.
Michael Kémiargola : Comment te définirais tu ? Pour l’instant tu vis plus la photographie dans l’instant ou à travers des projets ?
Claire Obscure : J’aimerais me définir comme une artiviste. Je suis une passionnée d’art et obsédée par les images. J’ai toujours aimé me donner un temps d’apprécier une oeuvre quelle que soit sa forme ou le médium utilisé. Photo, vidéo, musique, dessin… J’aime bien essayer de nouvelles choses. Je me vois comme une amatrice d’art et militante qui essaie de créer. Je fais aussi partie du Collectif Afroféministe Mwasi, basé à Paris et j’essaie également de participer au partage des compétences avec mes soeurs. Ma mère est née au Cameroun, mon père est français et blanc. Ça a aussi son importance dans mon travail. J’ai beaucoup de projets, en photo et dans d’autres domaines et je sais que je dois prendre mon mal en patience avant de les voir réalisés un jour.
MK: Quand et comment as-tu commencé la photographie?
CO : J’ai commencé la photographie la première fois que j’ai touché un appareil photo. J’ai immédiatement saisi le potentiel artistique. A mon avis c’est l’intention qui prime dans la photographie, pas le matériel ou la technique. Le désir de partager son regard sur le monde. C’est très personnel. Petite, j’étais subjuguée par le Polaroïd de mon père. Je savais ce que je voulais capturer. En plus j’avais le résultat quasi instantanément. J’ai eu ensuite un appareil numérique et depuis je photographie souvent « dans l’instant ». Je ressens d’une part le besoin de capturer la beauté d’une personne ou d’un paysage et d’autre part la nécessité de documenter des événements, parfois avec une approche plus sociale et politique. Souvent les deux à la fois.
MK: Tu as un blog, plusieurs même, dont un nommé Beautés Minoritaires ; quelle était l’idée derrière sa création ?
CO : J’ai plusieurs blogs d’images qui ont chacun leur fonction “décoloniale”. Sur le premier, je partage mes propres photos. Sur le blog Beautés Minoritaires, je partage des images dont je ne suis pas l’auteur.e, mais qui témoignent d’un désir de décolonisation de la culture visuelle et à l’amour de soi. Le sous-titre du blog est “La représentation compte: les corps et visages oubliés du blantriarcat capitaliste”. C’est un clin d’oeil à l’auteure bell hooks. L’idée étant de visibiliser des indivu.E.s appartenant à des groupes marginalisés ne correspondant pas aux normes de beauté, à l’hétéronormativité… Ça a été une première étape avant de moi-même m’interroger sur ma propre culture visuelle et photographique et sur les stéréotypes que je reproduis par mes photos, même inconsciemment. Et c’est là que c’est devenu vraiment intéressant. Le dernier blog est plus axé sur les représentations d’afrodescendant.e.s dans l’art contemporain et dans des univers imaginaires (fantastique, science-fiction), d’où nous sommes très souvent effacé.e.s à mon grand regret.
MK : Tu peins aussi tu peux nous en parler ?
CO : J’ai commencé à peindre tard. J’ai tout de suite aimé. En peinture on travaille différemment avec la lumière et la couleur. Je suis toujours en train d’apprendre. Je dessine également, et je suis en train d’essayer de trouver un moyen de marier ces médias de façon harmonieuse et cohérente. J’ai récemment participé à un live painting à six mains en mixed media, c’était une super expérience.
MK : Qu’est-ce que tu dirais aujourd’hui de ton point de vue de photographe des enjeux de représentations pour les personnes afro et queer en France?
CO : Il est nécessaire d’agir sur cette visibilité, en faisant attention à ses modalités. Qui prend les photos? De qui? Pour qui? Qui en profite? Quel message est transmis? Pour moi la visibilité est une des composantes de l’émancipation, surtout dans une société si portée sur le visuel, mais la représentation a des enjeux qui nous dépassent souvent. Le contenu visuel a joué un rôle prépondérant dans les propagandes oppressives dans le passé, et on peut légitimement se demander dans quelles mesures ça doit participer à la Libération. Nous devons être vu.e.s ET
entendu.e.s. Le premier l’emportant souvent sur le dernier.
MK : Et l’exotisation c’est quelque chose qui te fait peur dans la façon dont les gens peuvent approcher, s’approprier ton travail ?
CO : Ma première série de portraits de femmes noires, je l’ai partagée sur mon blog, entre mes photos de rue, de nature, plein d’autres portraits, mais cette série particulière a eu un énorme succès. Je ne m’y attendais pas du tout. Je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi. Est-ce la rareté de représentation (qui la rend exotique) ou le type de représentation (empowerment)? La peur de l’instrumentalisation et de l’appropriation de son travail est toujours un peu là, elle est inévitable, mais je refuse de céder à cette peur, sinon je ne créerai plus rien. J’ai déjà mis assez de temps avant de réellement me dévoiler en tant qu’artiste, je n’ai pas besoin d’autres obstacles.