A propos des chansons d’amour
Une conversation avec Nhojj, chanteur et compositeur du Guyana. Interview de Cases Rebelles. Photos de sHiNE
Nhojj est un chanteur compositeur, gay et fier de l’être, originaire de Guyana et aujourd’hui basé aux Etats-Unis. En 2009, Nhojj est devenu le premier Noir à remporter un Out Music Award, et il en a remporté d’autres depuis. Sa musique célèbre l’amour sous toutes ses formes et il dit ceci : «Je crois que peu importe où l’amour se manifeste, l’amour est juste, l’amour est bon et l’amour est beau.” Cases Rebelles a eu avec lui via skype une longue conversation dont est extraite l’interview qui suit.
Cases Rebelles: D’abord j’aimerai que l’on parle de la positivité et de l’amour dans ta musique. Où et comment trouves-tu la force de partager, de donner autant à travers ta musique. D’où cela vient-il?
Nhojj: Waouh (rires), c’est une bonne question. Je pense que cela vient … Je pense que nous avons tous de l’amour, nous avons tous une grande, une énorme capacité à aimer et en tant qu’artistes et créateurs, ce que nous faisons, c’est que nous puisons dans ça, nous nous connectons à ça – je pense que c’est là qu’est ma source. Je pense qu’il y a un monde d’amour, tu vois, un idéal. Avec la musique, je réussis à puiser dans cet idéal et j’arrive à partager. Je pense que nous y avons tous accès – je pense que les gens créatifs, nous sommes plus à l‘écoute, (rires). Je pense.
CR: J’imagine que parfois tu es aussi traversé par la peur et la colère. Comment réussis-tu à donner de l’amour, à passer par delà les mauvais sentiments?
Nhojj: Ouais, c’est un sacré problème. Il n’y a aucun doute je ressens la peur, je ressens la haine, la colère. Et je pense qu’une part de mon fonctionnement consiste à admettre tous les sentiments – à les embrasser. Et ce que je fais aussi, c’est que je tiens un journal, j’écris ce que je ressens dans un journal, et ça en ce qui me concerne ça aide vraiment à s’alléger le cœur. A admettre ces sentiments et l’expérience qui les provoque. J’ai découvert qu’en tenant un journal ou quand j’accepte la colère ou la peur – le fait de reconnaitre ces sentiments me permet de les dépasser. J’arrive à atteindre un niveau de satisfaction. Tôt ou tard, et ça ne se passe pas toujours tout de suite, mais tôt ou tard, quand j’admets tous mes ressentis j’arrive à un niveau où je peux atteindre l’amour.
CR: Je me souviens d’un très beau texte que tu as écrit où tu parlais de « faire l’autruche et perdre des années précieuses ». Comment s’est passée ton enfance à Georgetown ?
Nhojj: J’ai grandi à Georgetown – tu sais Georgetown est magnifique- le temps est chaud, les gens sont chaleureux, pour la plupart. Je me souviens que nous avions d’innombrables arbres fruitiers dans notre cour. Cette partie de ma vie, ce genre de contact avec la nature organique, de la vie là-bas, j’ai vraiment aimé. Mais, en termes de ma sexualité, cette part spéciale de moi, était comme inexistante parce que je n’ai vraiment jamais rencontré quelqu’un comme moi. C’est différent maintenant – quand j’étais là en Juin 2013, nous sommes allés à la radio et nous avons fait des entrevues. SASOD avait fait un excellent travail pour accroître la visibilité des personnes LGBT. Mais quand j’étais jeune, il n’y avait rien de tout cela; Je me sentais complètement isolé et confus. Je savais que j’étais différent, mais je ne savais pas vraiment ce que cela signifiait, donc c’était très déroutant pour moi – et douloureux aussi. Je ne pratiquais pas de sport, j’ai toujours été doux donc on s’est beaucoup moqué de moi et on m’a affublé de toutes sortes de noms. Je suis content que ça ne soit jamais allé plus loin – je n’ai pas été frappé, mais émotionnellement, ouais, c’était difficile.
CR: Peux-tu me parler de l’importance du religieux et de la foi dans ton art? Comment ta foi a-t-elle évolué avec le temps ? Je sais que ton père était pasteur. Enfant quelle était la place de la spiritualité ans ta vie et quelle est-elle aujourd’hui?
Nhojj: Donc, c’était … J’ai donc grandi dans une église –mon parcours, mon trajet n’a pas été facile. J’étais très embrouillé en grandissant parce que j’entendais des choses à l’église qui ne faisaient pas écho en moi, avec qui j’étais. J’entendais qu’être homo c’était mal, tu vois, que tu vas aller en enfer, tu dois te repentir – tu sais, toutes ces histoires. Donc pour grandir, j’ai du tourner le dos au religieux, ignorer tout cela. Et puis, progressivement, à travers le temps, j’ai commencé à trouver de nouvelles voies de spiritualité. Je suis tombé sur quelques livres sur la méditation, le yoga et précisément ces conceptions où nous sommes tous un, tous liés à l’Univers et nous avons tous notre propre chemin à suivre, ce type de spiritualité faisait écho à qui j’étais – ça a été une façon pour moi de renouer avec Dieu, de me ressaisir en quelque sorte de ma spiritualité. Mais il a fallu du temps. Je lis toujours beaucoup, je médite. Et ça nourrit la dimension spirituelle de ma vie.
CR: Parlons de tes influences musicales. Je sais qu’en grandissant t’étais plutôt dans la musique Gospel. Est-ce que t’écoutais de la musique caribéenne? Et qu’est ce que tu écoutes en ce moment?
Nhojj: En grandissant, j’ai entendu beaucoup de Socca, Bob Marley, du reggae, Machel Montano. J’adorais cette musique, tu vois, c’est génial. Même maintenant, je continue d’écouter de la Socca et et du Reggae. J’écoutais aussi du gospel et de la musique d’église – je me souviens que j’avais ce disque -mes parents ont passé quelque temps aux États-Unis pour les études avant de revenir au Guyana…alors qu’ils étaient ici, ils se sont retrouvés dans une église – ils avaient ce disque de Gospel là, que j’ai trouvé quand nous sommes revenus au Guyana et quand j’étais un peu plus âgé. Je le mettais tout le temps; c’était juste, tu vois – exactement comme le chœur de l’église, comme si on venait juste de l’enregistrer. J’ai toujours aimé l’énergie et la passion de la musique gospel. Mes parents, pas tant que ça, mais moi j’ai toujours adoré. Qu’est-ce que j’écoute maintenant – j’écoute des choses très diverses. L’artiste dont je suis amoureux en ce moment, et je vais écorcher son nom – c’est Laura Mvula. Je l’adore. J’ai toujours aimé India Arie et Sade, et Cassandra Wilson. Je suis un gros, gros fan de Cassandra Wilson.
CR: Ton nouvel album vient de sortir. Peux tu m’en parler ? Il est constitué de reprises de chansons d’amour et il est sorti le jour de la saint Valentin ? Comment as-tu vécu la réalisationde cet album ?
Nhojj: Ouais, ça a été en quelque sorte le plus gros projet sur lequel j’ai travaillé. On a eu la participation de beaucoup de musiciens incroyables, beaucoup de musiciens accomplis. Et donc oui, c’était beaucoup de travail, mais j’avais le sentiment que cet album, qu’il était important de le faire, un projet important pour moi parce que je n’entends pas des chansons, des chansons d’amour ou tout autre type de chansons concernant des personnes du même sexe et j’aimerais en entendre plus. Je pense, j’ai toujours cru que si il y a quelque chose que je voulais voir ou entendre dans le monde, et que cette chose n’existait pas, alors je pouvais la créer et l’offrir au monde. Donc c’était le cœur de ce projet – c’était une manière d’utiliser la musique pour dire que notre amour est beau, notre amour est poétique, notre amour est sexy, notre amour est riche, notre amour est tout ce que nous pouvions imaginer qu’il soit – et il s’agit d’utiliser simplement la musique comme une autre façon de le dire, d’affirmer qui nous sommes, comment nous aimons et qui nous aimons.
CR: Depuis tes débuts, qu’est-ce qui a évolué au niveau de la musique, de la manière dont tu écris ? Ecris-tu différemment? Joues-tu différemment?
Nhojj: Ouais – c’est comme un processus de croissance et d’apprentissage pour moi. Voyons, comment exprimer ça? J’ai l’impression – en particulier pour ce qui concerne le jeu et la scène – je pense que, parce que je chante des expériences qui sont vraiment plus proches de ce que je ressens, des choses que j’ai vraiment vécues – en particulier dans une chanson comme « He Heals Me », ou « He and Him », ou «Bromance». Je pense que cela vient d’un endroit plus profond en moi. Pour moi, c’est très libérateur, très libérateur. C’est ce que j’essaie d’atteindre, arriver à plus d’honnêteté, même plus de liberté, plus de clarté – et explorer différentes façons de m’exprimer, d’exprimer notre réalité ici sur la terre.
CR: Peux-tu me dire ce que cela fait de recevoir des récompenses pour ta musique
Nhojj: Pour moi personnellement, c’est une belle reconnaissance, c’est agréable d’entendre de mes pairs qu’ils respectent le travail que je fais, qu’ils respectent la musique que je crée. C’est vraiment encourageant. Tu sais, créer c’est parfois effrayant – parce que je ne sais jamais ce que la réaction sera, j’espère toujours que les gens aimeront ce que je fais, mais je ne suis jamais vraiment sûr. Donc, obtenir des récompenses c’est vraiment encourageant, ça m’encourage à continuer. Et je pense que pour les autres, pour les jeunes musiciens, je pense que c’est source d’inspiration pour eux de savoir que on peut être honoré pour avoir créer une œuvre honnête et fidèle à nos expériences . Je pense que c’est important – je pense que les artistes sont vraiment importants dans le changement des perceptions des gens. Je pense que l’activité politique est essentielle, parce que les changements des lois, légalise d’une certaine manière notre vie – elle fournit le cadre. Mais ce sont les artistes, les gens qui se marient, qui vivent ensemble, qui ajoutent la couleur, ils apportent les détails à la peinture – ils donnent la vie, ils lui donnent un sens. Et je pense que ça c’est important.