Connaitre Nos Histoires Pour Redéfinir La Famille
Une Conversation avec Julia Makwala
Photos et Propos recueillis par Ruth Lu
Militer pour les droits des personnes LBTQ, en Afrique particulièrement, est un défi de taille. Cependant, ce militantisme peut également ouvrir la porte à une grande communauté qui peut devenir source d’acceptation, de sécurité, de réconfort et de soutien. Q-zine est allé à la rencontre de Julia Makuala, militante engagée pour la communauté LBTQ en République Démocratique du Congo, qui nous a fait part de son parcours militant et de ses réflexions sur la famille.
Est-ce que tu pourrais te présenter à nos lectrices-teurs ?
Je suis Julia Makuala, militante afro féministe et actuelle secrétaire exécutive nationale de l’association Oasis RD Congo, une association LBTQ féministe, présente à Kinshasa et qui a également des antennes dans d’autres provinces du pays.
Comment as-tu débuté à Oasis ?
Tout est parti d’un questionnement sur la situation des femmes LBTQ. Plus spécifiquement, je voulais comprendre pourquoi notre situation n’était pas prise en compte dans notre pays, pourquoi nous n’arrivions pas à bénéficier de certains services de santé, surtout en termes de santé sexuelle et reproductive, y compris le VIH/SIDA. Dans notre pays, la question de l’homosexualité a comme porte d’entrée la thématique du VIH. Dans les politiques contre le VIH, il est généralement demandé à ce que personne ne soit mis de côté, mais on se rend compte que dans les faits, les femmes sexuellement minoritaires sont mises à l’écart. Il existe des programmes de santé sexuelle et reproductive dans lesquels les lesbiennes par exemple ne sont pas spécifiquement prises en compte. Par exemple, pour bénéficier de certains services de lutte contre le VIH, les femmes sexuellement minoritaires sont obligées de se présenter en tant que professionnelles du sexe parce que les travailleuses du sexe sont reconnues en tant que populations clés, au même titre que les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes, les usagèrEs de drogues, et plus récemment, après plusieurs années de plaidoyer et de lobbying, les femmes transgenres.
Mais du côté des femmes lesbiennes, bisexuelles, les hommes trans, on continue de noter une certaine négligence. Initialement, cette non-prise en compte s’expliquait par la fausse perception selon laquelle les pratiques sexuelles entre femmes ne constituaient pas un canal de transmission des maladies sexuellement transmissibles. On ne prenait tout simplement pas notre orientation sexuelle au sérieux, et on négligeait les risques. Bien entendu, on sait que le patriarcat joue un rôle très important dans cette invisibilisation des femmes LBQ, même dans le milieu queer puisqu’il cherche à reléguer les femmes LBQ au second rang. Ici chez nous, quand on parle de l’homosexualité, on pense plus aux hommes qui ont des rapports avec des hommes qu’aux femmes. C’est donc tous ces questionnements qui m’ont amené, avec des amiEs, à mettre en place une association pour les femmes sexuellement minoritaires, mais également les personnes féministes. C’est comme ça qu’est née Oasis RD Congo, une association LBTQ féministe.
Comment décrirais-tu ton travail et qu’as-tu appris sur toi-même à travers ton engagement au sein d’Oasis ou dans la communauté en général?
Je décrirais mon travail comme étant un travail pour l’émergence d’espaces récréatifs, d’espaces de parole libres, de socialisation, libérés des interdits religieux et culturels. J’œuvre également pour déconstruire les préjugés et combattre l’exclusion, la discrimination et la stigmatisation de toutes les femmes en général, et des femmes sexuellement minoritaires en particulier. À travers mon militantisme, j’ai appris que malgré les diversités d’opinion, les divergences et la singularité qui caractérisent les femmes, nous avons toutes une même vision: celle de défendre et de promouvoir les droits qui nous sont les plus légitimes afin que nous puissions vivre dans la dignité.
Comme tu le sais, ce numéro porte sur la famille alors les lectrices-teurs de Q-zine et moi-même aimerions savoir ce que ce thème évoque pour toi. Que pourrais-tu nous dire à ce sujet ?
Pour moi, une famille, c’est un espace sécurisé où l’acceptation de l‘autre avec sa différence est garantie. Et non seulement garantie, mais constitue le socle de la cohésion sociale parce que c’est à la base que tout commence. À priori, ma famille pour moi renvoie à mon père, ma mère, mes frères et sœurs, les gens avec qui je suis née. Mais par extension, et du fait de mon engagement communautaire et de mon ouverture d’esprit, j’étendrais cette notion de famille à toute communauté d’individus qui s’aiment et s’entraident. Pour moi, les principes qui font une famille sont fondés sur la bienveillance, la serviabilité, la solidarité, et le réconfort mutuel. Selon moi, c’est ça qui constitue une famille car on peut naître au milieu d’individus sans que ces personnes ne répondent aux principes qui fondent une famille, donc je pense qu’il est important de définir ces principes.
C’est intéressant que tu aies commencé à parler de ta famille en parlant des personnes avec qui tu es née. Tu y as fait un peu allusion, mais outre ton cercle biologique, qui considères-tu comme faisant partie de ta famille ?
Les personnes que je considère comme ma famille sont des personnes qui partagent les mêmes valeurs que moi, les personnes qui travaillent pour le vivre ensemble pacifique, dans l’ouverture aux différences et aux diversités. C’est vrai que les représentations de la famille ont varié au fil du temps, mais pour moi, la famille, c’est une présence qui est à la fois rassurante, sécurisante et socialisante, et qui apporte du soutien. Alors faire famille pour moi, ce sont d’abord des valeurs, des liens, des principes pour lesquels on se bat et surtout, l’union.
On a longtemps limité, et à tort, l’image de la famille au portrait du père, de la mère et des enfants, etc. Comment penses-tu que nous puissions changer cette perception de la famille, surtout pour nous qui évoluons dans des sociétés qui ne montrent pas d’exemples de familles qui ne sont pas dans la « norme »?
Ah! Quand on n’est pas dans la norme, il faut construire une famille qui n’est pas dans la norme (rires). On donne que ce qu’on a, n’est-ce pas ? Les choses sont en train de changer, heureusement. Nous ne sommes plus à l’âge de la pierre taillée (rires). Moi je dis souvent, il faut vulgariser les textes légaux, et même les savoirs historiques et sociaux. Un pays comme la RDC a ratifié plusieurs accords juridico-légaux et pourtant, les dispositions de ces accords ne sont pas toujours connues des populations.
Pendant longtemps, la norme c’était un papa, une maman, etc. c’est vrai, mais les choses sont en train de changer, les gens sont en train de développer d’autres manières de voir les choses. Avant, on disait « c’est notre culture ». Mais moi, je me demande souvent ce que c’est que notre culture. Quand on demande aux gens d’expliquer la culture en tant que telle, ils en sont incapables. Et quand on explore cette même culture en profondeur, on se rend compte que tout ceci existait [en référence aux pratiques homosexuelles, ndlr]. Si vous faites des recherches, vous verrez qu’il y avait les Bitesha, chez nous, dans la Kasaï. Il y a également une autre tribu ici chez nous, dans la province du Kongo Central, les Woyo : quand une fille atteignait l’âge de la puberté, elle était internée avec les dames de la tribu pour apprendre à vivre dans un ménage avec un homme, et ce, sur tous les plans, même sur le plan sexuel. Ce sont les femmes qui se chargeaient de faire cette éducation aux jeunes filles, qui leur montraient comment faire. Ces femmes avaient donc des relations sexuelles entre elles pour leur montrer. Bien sûr, rapports sexuels n’équivaut pas à orientation sexuelle.
Mais quand elles pratiquent, c’est quoi ? C’est un rapport homosexuel ? Peut-être ? Je ne sais pas. Tout ça pour dire que c’est souvent l’ignorance qui fait que les gens disent certaines choses. Je suis convaincue que pour faire changer les mentalités, il est important de faire ces recherches, de produire nous-mêmes des savoirs sur nos vécus, parce que si nous ne le faisons pas, personne ne le fera à notre place.
Un dernier mot pour nos lectrices-teurs ?
J’aimerai profiter de l’opportunité que Q-zine m’offre pour rendre un hommage vibrant à Nancy Bitsoki qui était une militante afroféministe LBTQ et ma partenaire. Elle est décédée récemment mais je la considérerai toujours comme un membre de ma famille. Et aux lectrices-teurs, je rappellerai tout simplement qu’une famille est un espace sécurisé où l’acceptation de l’autre, avec sa différence, est garantie et constitue le socle de la cohésion sociale.