Femelle ou criminelle
Khouloud Mahdhaoui. Photo de Dalal M.
Je suis née un 03 juin, mes premières inspirations, expirations ont été précédées par mon genre qui à ce moment là est devenu comme ma seule et unique identité. J’étais femelle avant d’être vivante, j’ai été femelle avant d’avoir un prénom, j’étais un être humain de seconde catégorie, j’étais femelle.
Puis j’ai existé, je suis devenue petite fille, sans en adopter les codes, mais personne ne s’en souciait, en culotte ou en robe, camion ou poupée, j’étais au pire une petite fille intelligente et ambitieuse, j’aspirais à devenir mâle, mais ce n’est qu’un rêve d’enfant, d’enfant femelle.
Puis j’ai eu mes règles, un jour révolutionnaire pour mon évolution, je suis passé de fille, à femme. Je n’avais plus droit aux rêves d’enfant, je devais rejoindre mon rang, intégrer mon rôle de femme tunisienne et me fondre dans la masse des vénératrices du phallus le tout puissant.
A 14 ans, je suis tombée amoureuse, d’une femme, qui avait elle aussi su garder ses rêves d’enfants, apparemment. Il m’était lors, impossible de concevoir mon existence sans la comparaison permanente avec l’autre genre. J’avais découvert l’amour, mais aussi, la frustration, la haine, la jalousie, la peur, la solitude, …bref, j’étais devenue adulte.
Aux fils des ans et des amours, j’ai renié ma féminité, me suis battue pour réaliser ce rêve d’enfant, graviter les échelons, mon cœur était mâle, il me fallait devenir homme.
L’équation était simple, pour aimer les femmes, il faut être homme, un homme que je n’étais pas, mais que peut être je pouvais devenir. J’avais compris le défaut de fabrication, mis le doigt dessus, il suffisait de quelques petites rectifications. J’en étais heureuse.
Il m’a pas fallu longtemps pour recevoir le revers de mon heureux constat,
“Tu es née femme et le restera” se sont écriées famille, morale sociale, lois et religion en chœurs.
“Mais comment puis je aimer les femmes alors?”
“Tu ne les aimeras plus, c’est les hommes que tu aimeras.”
“Mais comment pourrais-je, ils rotent (comme moi), ils pètent (comme moi), ont des poils partout (un peu moins mais aussi), se grattent tout le temps l’entre jambes (j’y tenais), et n’ont même pas de seins (contrairement à moi)!!”
Ce jour là, j’ai réalisé que j’étais une femme qui aime les femmes, pour ce qu’elles sont dans leurs différences. Mais qu’avant tout, j’étais une femme. J’ai tout de suite rasé ma moustache et arrêté de me gratter l’entre jambe.
Du rêve d’enfant, je me suis vue basculer dans le cauchemar adulte, celui d’être une femme tunisienne qui aime les femmes, une criminelle[1].
Une criminelle de l’amour, du désir? Je le serais!
J’ai remis en question tout ce que la société m’a inculqué, ces cadeaux empoisonnés qui m’aliénaient, tels que le confort de l’héritage culturel, le concept de la famille, la virginité, le patriarcat, la fragilité féminine et la force masculine, le paradis, et même le couscous du dimanche.
Décidément, je les troque volontiers, je veux de l’amour, du sexe et du bon d’ailleurs!
Voilà plusieurs années maintenant que je suis criminelle, j’ai aimé des criminelles, évolué dans des sphères criminelles, me suis lié d’amitié à des criminelles, et enfin, trouvé ma criminelle. Celle dont le sourire dissipe tous les doutes et toutes les peurs. Dont le regard, aimant sera ma dernière demeure.
Mais je ne peux m’empêcher, quand au soir je m’endors dans les bras de mon aimée, de penser qu’un enfant qui naîtra aujourd’hui, au bout de presque trente ans et une révolution, sera, comme moi, femelle ou criminelle.
J’ai décidé d’être activiste.
[1] Selon l’article 230 du code pénal tunisien, les rapports sexuels femme/femme (mais aussi homme/homme) sont punis de l’emprisonnement pendant trois ans