La vie d’un Masisi
Propos de Charlot Jeudi recueillis par Cases Rebelles. Photos de Giulio d’Adamo
Moi je suis un masisi comme j’aime le dire. Depuis tout petit j’ai eu des sentiments pour les garçons mais c’était toujours une difficulté de dire aux gens qui étaient le plus proche de toi ton ressenti.
Pendant un certain temps j’ai joué une comédie. Ce que j’appelle là comédie c’est l’hétéronormativité qui est imposée dans la société et que moi-même comme masisi, comme homosexuel je n’avais pas de repères je suis rentré dans la logique, du moins dans la comédie des hétérosexuels.
C’était surtout avec la communauté que j’ai joué la comédie. Mais chez moi, on voyait que j’avais un style féminin, je faisais le ménage – chez moi c’était pas une préoccupation. Mais avec mes amis c’était des : « ah mon cher, tu dois te comporter comme un garçon. Tu dois marcher comme un homme. Tu n’es pas une fille. Tu ne dois pas jouer aux osselets, au jwèt kay, il ne faut pas jouer jwèt pench, jouer à la marelle, sauter à la corde… C’est pas possible ! ». Je savais faire tout ça. C’est comme ça que je me distrayais. Après j’ai commencé à jouer au foot avec les garçons, je suis rentré dans la comédie même si je jouais aux osselets avec les filles sur le toit pour qu’on ne nous voit pas. Mais je jouais au foot au grand jour pour prouver que je suis bien un petit garçon.
Je savais danser aussi. Parce que la danse pour moi c’était la première forme d’expression que j’ai eu et ça m’a permis de rester comme j’étais quand je dansais. Parce que danser à cette époque pour moi c’était pas surtout le mouvement. C’était tout ce que je ressentais, quand je dansais.
Je suis né à Port au prince et j’ai grandi à Port-au-Prince. J’ai grandi dans un quartier populaire, Martissant, un quartier extrêmement difficile qui a tous les problèmes du monde : insécurité, électricité, eau potable, les problèmes du sous-développement d’une manière générale. La seule richesse que j’ai eu dans ce quartier, à laquelle ma famille m’a permis d’accéder dans ce quartier, c’est qu’on m’a envoyé à l’école, on m’a donné de l’instruction. Ça a permis de développer tout un sens des responsabilités dans un tas de domaine chez moi qui m’ont amenées à entrer dans des organisations de base.
J’ai toujours fait un maximum d’efforts pour avoir de très bons rapports avec les gens de mon entourage – ça m’a aidé énormément. Même quand je n’arrive pas à comprendre quelqu’un, je fais beaucoup d’efforts pour le comprendre. Pour pouvoir évoluer dans le milieu où je suis né. Je crois que j’ai hérité d’un quartier, d’une communauté traversé par beaucoup de violences, de conflits. J’ai vu qu’il n’y avait pas intérêt à… j‘ai vu trop de violences, trop de victimes par rapport à tout cela. Et j’ai développé toute une culture pour vivre ensemble, de solidarité pour voir comment améliorer les rapports entre les gens. Et puis dans mon quartier tout le monde me connait.
J’ai toujours assumé mon homosexualité dans le quartier, chez moi, dans ma famille. Ça n’a jamais été un problème. Je me souviens à 18 ans je m’étais approché de ma mère, je lui ai dit que j’aimais les garçons ; ma mère m’a dit « ce qui est le plus important Charlot, c’est d’aller à l’école. » J’ai toujours été élevé entre ma mère, mon père, mes sœurs et frères. J’ai toujours été encadré comme ça et ça m’a toujours mis en confiance. C’est quelque chose qui a développé une situation de confiance, d’assurance, d’estime de soi chez moi. Je suis un enfant bien né en ce sens parce que je n’ai pas connu les atrocités qu’ont connues des amis homosexuels aujourd’hui ou qu’ils avaient connues dans le passé. J’avais des garanties de ce côté-là. Et entant donné que je voulais être artiste, leader et donc il faut avoir un certain nombre de compétences, de qualités pour ça, il ne faut pas être timide, il faut convaincre les gens, et ces désirs là m’ont donné encore plus d’assurance.
J’ai pris ça à cœur pour pouvoir me dire au moins je suis un masisi qui n’est pas bête, qui est allé à l’école. Et ça a été comme un stimulant qui m’a permis de tenir d’avancer tout ça. Et je me suis assumé encore davantage quand j’ai rencontré d’autres amis comme Nicolas, Pouchy, Eyrol, Pierson, Richard, Rudy, Toto, Jeanjean. Un groupe. Un groupe d’amis qui étaient homosexuels aussi qui habitaient dans la communauté et qui du moins n’étaient pas trop éloignés de moi. Tout le temps on se posait ensemble. Tout le temps il y avait d’autres amis, que ce soit à Pétionville, Delma, Kwadèbouke, qui faisaient des soirées, des activités homosexuelles. Et bien on s’arrangeait en groupe pour aller y participer. Soirées, animations, journée de mers : on y allait.
Je ne suis pas religieux même si je viens d‘une famille religieuse catholique mais je ne suis pas religieux, je suis un vaudouisé pas un vaudouisant. J’aime aller participer dans des activités vaudous mais je ne suis pas adepte.
Mais pour m’accepter en tant qu’homosexuel au début je priais. J’allais à l’église je priais. Je disais « Jésus Marie Joseph qu’est-ce qui m’arrive ? Qui suis-je ? Qu’est-ce que j’ai ? Comment cela fait-il que ça m’arrive ? Samuel, qu’est ce que j’ai ? » À un autre moment, j’ai aussi regardé du côté des loas. Je regardais mon père et ma mère – ma mère ne connait pas ces choses là, même si son père servait les loas. Depuis que je connais ma mère, jamais elle ne m’a dit qu’elle est allée une fois à une danse vaudou ou qu’elle se prépare à y aller. Pareil pour mon père. J’ai grandi, j’ai continué à prier mais à un moment je me suis dit que pour être en paix avec moi-même il fallait que je me mette à distance de la religion. J’ai fait ma première communion, j’ai été baptisé mais j’ai pris mes distances. Je prenais l’hostie, j’ai arrêté de le faire.
C’était une obligation tous les dimanches d’aller à l’église mais j’ai décidé que si j’étais pas en condition, si j’étais pas disposé je ne vais pas à l’église, tu vois. Et une autre chose, c’est que j’avais eu un très bon directeur qui nous avait dit « vous êtes tous des valeurs », c’était Emmanuel Buteau, ancien Ministre de l’Éducation nationale qui m’a dit que nous étions tous des valeurs. Je suis capable de convaincre – je suis capable d’influencer. Ça a fait un déclic chez moi.
Ce qui me rend heureux c’est de pouvoir dire à la société « arrêtez avec vos discriminations ». C’est ça mon plaisir de tous les jours, d’être moi-même, de montrer au reste de la société « voici mon chéri à mes coté ». Quoi qu’ils disent ou fassent. Que cela les dérange ou pas. Wa yan ! (Qu’ils aillent au diable !). Pour d’autres compatriotes, le bonheur serait de partir. Mais ça ne m’intéresse pas. J’ai déjà eu plus de 5 visas, je pars et je reviens. Ça ne m’intéresse pas. Ce n’est pas une de mes préoccupations. Ce serait vraiment le dernier choix de faire mes bagages.
Les plaisirs, d’où je viens, c’est des choses comme des animations de quartier, des journées de mer, ça ne peut pas être des choses qui coûtent chères car sinon il y a pas moyen. Nous ne pouvons pas nous permettre d’aller à un bal de T-Vice qui coûte 200 USD. Notre plaisir c’est sortir, participer à une activité ; ceux qui font le petit commerce, ceux qui travaillent dans la manufacture, ceux qui travaillent dans un restaurant, mais qui viennent tous se rencontrer, s’asseoir entre amis, nous faisons un cocktail le soir, entre amis. Nous discutons, etc. En petit groupe, et après chaque rentre dormir chez lui. C’est ça notre plus grand plaisir! Tu vois?