« Love Drought » clip de Beyoncé : l’Esclavage et l’Histoire de Igbo Landing
Par Mikael Owunna. Images du clip « Love Drought » et de Donovan Nelson Igbo Landing Image à travers le Valentine Museum of Art
[Description : Beyoncé, dans le clip « Love Drought », s’avançant dans l’océan, suivie par une procession de femmes noires]
L’album LEMONADE de Beyoncé regorge d’art et d’images sensationnelles. Pour moi, l’une des images les plus frappantes dans cet album visuel apparaît dans « Love Drought ». Beaucoup a été dit à propos de comment LEMONADE tire ses influences de Daughters of the Dust de Julie Dash. Mais très peu a été dit à propos de comment l’histoire de Igbo Landing est centrale dans Daughters of the Dust ou de comment l’histoire de Igbo Landing – un acte de résistance de masse contre l’esclavage – apparait de façon très prononcée dans le clip « Love Drought ».
[Dessin au fusain représentant la scène de Igbo Landing – par Donovan Nelson. Il montre les esclaves Igbo s’avançant dans l’océan, yeux fermés, l’eau à hauteur de leur cou. Image via Valentine Musem of Art]
Pour ceux qui l’ignorent, Igbo landing (ou Ebos Landing) est le site d’un suicide de masse d’esclaves Igbo qui eut lieu en 1803 sur l’île de St. Simmons, en Géorgie. Des d’esclaves Igbo s’étaient révoltés, avaient pris le contrôle de leur bateau qu’ils avaient ensuite échoué sur l’île. Plutôt que de se soumettre à l’esclavage, ils avaient pris la direction des eaux pour se noyer, et ceci en fredonnant des hymnes Igbo. Ils avaient unanimement préféré la mort à l’esclavage, et leur acte de résistance de masse contre les horreurs de l’esclavage devint une légende, surtout parmi les populations Gullah qui vivent près du site de Igbo Landing. L’histoire de Igbo Landing est non seulement l’un des thèmes clés de Daughters of the Dust de Julie Dash qui, à son tour, a influencé LEMONADE, mais elle est également centrale aux images de « Love Drought ». En effet, dans la vidéo, Beyoncé s’avance dans l’eau, suivie d’un groupe de femmes noires toutes habillées en blanc, des étoffes noires en forme de croix sur le devant de leurs vêtements. Elles s’avancent progressivement dans les profondeurs de l’eau, puis s’arrêtent
et lèvent les mains vers le crépuscule.
[Beyoncé s’avançant dans l’eau, suivie par un groupe de femmes noires]
Cette scène – et la vidéo en général – se déroule dans un paysage marécageux qui correspond aux descriptions folklores Afro-Américaines du site de Igbo Landing. A ceci s’ajoute des images de Beyoncé liée par des cordes et résistant leur traction : une métaphore évidente pour l’esclavage, la résistance, et les différents évènements de Igbo Landing.
[Beyoncé, sur une plage, s’inclinant vers l’arrière, résistant à la traction d’une corde]
L’acte de lever les mains vers le couchant est un symbole de la résistance de masse à Igbo Landing qui a d’ailleurs été mythifiée par de nombreuses communautés Afro-Américaines comme étant soit « une marche sur l’eau » ou « un envole ». Dans une version du mythe, les esclaves Igbo marchent sur l’eau et s’envolent pour l’Afrique, se sauvant ainsi de l’esclavage. Dans d’autres versions, ils se transforment en oiseaux. Voici comment Wallace Quarterman, un homme Afro-Américain né en 1844, raconta la légende lorsqu’il fut interviewé par des membres du Federal Writers Projects, en 1930 : « N’avez-vous pas entendu parlé d’eux ? Eh bien, en ces temps-là, Mr. Blue était le contremaitre et…Mr. Blue, il était parti un matin avec un long fouet pour bien les battre…Il les avait bien battus. Alors, ils s’étaient tous mis ensemble et avaient jeté leurs houes dans les champs et puis…ils s’étaient élevés dans le ciel, s’étaient transformés en buses et s’étaient envolés pour
retourner en Afrique… Tout le monde a entendu parler d’eux. »
Georgiaencyclopedia.org
[Description : Beyoncé et plusieurs femmes noires partiellement submergées dans l’eau, près
d’une plage et levant les mains vers le soleil couchant]
Voir Beyoncé et un groupe de femmes noires avançant ensemble dans l’eau et levant les mains vers le couchant me rappelle exactement cette dernière interprétation de l’histoire de Igbo Landing où les esclaves s’envolent vers la liberté. De nombreuses interprétations sont possibles pour ce qui est de cette vidéo et de l’album visuel dans l’ensemble. Mais pour moi, le tableau principal de « Love Drought » – un paysage marécageux comme dans la description folklore du site de Igbo Landing, des images de Beyoncé liée par des cordes et résistant leur traction, une marche collective en direction de l’eau en se tenant par les mains et en les levant vers le ciel comme pour s’envoler – est, sans nul doute, une restitution de l’histoire de Igbo Landing. Il s’agit d’un acte de résistance de masse si puissant. En
tant que personne Igbo vivant aujourd’hui aux Etats-Unis, pouvoir voir ces images dans LEMONADE était un rappel très émouvant de cette histoire.